A
peine remis de ma folle équipée du début de la première semaine du mois d’août
2016, il est déjà question de remettre le couvert. Les prévisions météo
annoncent en effet une nouvelle superbe journée pour voler sur la campagne le
vendredi 5 août au départ de Saint Benoît, avec un vent du nord-ouest faible à
modéré, une convection homogène vers la Bourgogne et au-delà, et des plafonds
théoriques à 1200 m à midi, puis à 1500 m dès 13 heures, et s’élevant jusqu’à
1900 m dans l’après-midi… Ouah ! Me voilà à nouveau gonflé à bloc dès la
veille au soir. William est disponible pour me remorquer, et le rendez-vous du
lendemain est fixé à nouveau vers midi, pour décoller impérativement avant
12h30 compte tenu de son emploi du temps. C’est parfait pour profiter au maximum
de la journée, mais je n’aurai droit qu’à un seul essai pour me mettre en
l’air. Un peu en retard sur mon horaire du vendredi matin, je m’arrête
néanmoins au rond-point de la sortie d’Etampes vers Pithiviers pour prendre un
auto-stoppeur, histoire de renvoyer l’ascenseur de temps en temps. L’homme, de
taille moyenne, l’air bon vivant, bermuda, tee-shirt blanc propre, chapeau trilby
et sac à dos, m’a tout de suite paru
sympathique. Bien m’en a pris de l’emmener dans mon véhicule, car je suis tombé
sur un voyageur étonnant qui a pris l’habitude de se déplacer uniquement en
stop durant ses vacances, que ce soit en France ou sur l’un des cinq
continents, en évitant les transports en commun. Un globe-trotter qui
privilégie le contact humain à sa manière. Aujourd’hui, il est parti de chez
lui à Etampes pour se diriger vers les Pyrénées, et je suis son premier
« client », ou plutôt son premier transporteur. Apprenant que je peux
le déposer non loin de Sully-sur-Loire, il est tout simplement ravi de profiter
d’une première étape aussi longue. La curiosité aidant, la causerie va bon
train dans la voiture, chacun débordant d’histoires à raconter, tant et si bien
que le trajet se passe en un clin d’œil, et que nous gagnons chacun une bonne
dose d’enthousiasme pour la journée. Mon hôte, qui se prénomme Jean-Luc,
a également l’habitude de se prendre en photo avec les personnes qui ont
bien voulu le véhiculer, alors c’est l’occasion pour moi de faire de même avec
mon appareil. Nous nous quittons chaleureusement en nous souhaitant bonne
chance pour nos activités respectives.
William
arrive au terrain comme prévu vers midi, et le temps de terminer tous les
préparatifs, nous décollons à 12h32. Des cumulus naviguent déjà dans le ciel,
mais ils n’ont pas l’air très élevés. Ma première pompe est enroulée près des
bancs de sable, situés dans la courbure de la Loire au sud de Saint-Benoît, et qui,
en général, déclenchent des thermiques honorablement. Mais l’altitude maximale
atteinte est basse, moins de 800 m sol, ce qui n’est franchement pas terrible.
En quittant un thermique mollissant pour remonter face au vent et chercher la
pompe sous un meilleur angle par rapport au nuage au-dessus de mon aile, je
parviens à trouver le noyau, et l’ascension reprend, cette fois jusqu’à la base
du nuage, vers 950 m sol. Le vent me pousse vers l’est-sud-est, et comme il est
plutôt soutenu en altitude, je vais vite me retrouver au-dessus de la forêt en
dehors du local du terrain. Bien que le plafond soit inférieur aux valeurs
indiquées par les prévisions du matin même, la convection n’en est qu’à son
début, le ciel est clair, le vent souffle, et je me dis que les conditions
devraient néanmoins être favorables pour tenter une distance sur la campagne.
Mais il faut d’abord traverser la forêt, ne serait-ce que dans la bande la plus
étroite vers le nord-est en direction de Lorris. Le problème est que pour
traverser cette zone boisée en sécurité, il me faut au moins 1000 m de hauteur,
sinon je risque de me retrouver de l’autre côté au ras des pâquerettes, sans
marge de manœuvre pour tenter de remonter. Avec la dérive relativement
importante qui m’éloigne de plus en plus du terrain, je dois prendre une
décision rapidement, tandis que la nouvelle pompe enroulée entre Bonnée et Les
Bordes me rapproche du plafond. Alors je grimpe dans le nuage. C’est le
brouillard complet, la visibilité est juste suffisante pour me permettre de
lire mon vario-GPS, tandis que je pilote mon aile aux sensations, c’est-à-dire
en faisant le minimum d’écarts possible pour éviter une mauvaise posture sans
référence visuelle. Quand mon altimètre indique une hauteur bien au-dessus de
1000 m, inutile de poursuivre ce petit jeu malsain, cap vers le nord-est à
l’aide du compas intégré au GPS, avec un soulagement en voyant le sol réapparaître.
Cette séquence de vol sans visibilité n’a duré que quelques minutes, mais quand
on n’y voit rien, cela paraît long. Arrivé de l’autre côté de la forêt, point
bas à 400 m avant d’enrouler un thermique puissant qui me remonte jusqu’à la
base du nuage à 1000 m. C’est gagné, la campagne m’ouvre ses bras, avec des
champs, des bosquets, des villages, et suffisamment d’endroits
susceptibles de créer des contrastes thermiques, balisés par des jolis nuages,
pour avancer avec la certitude de trouver les pompes nécessaires pour remonter.
A ceci près que le plafond s’élève lentement et que des points bas à 400 m ou
500 m continuent à se produire. Mais la masse d’air est convective, les nuages
sont encore assez rapprochés, et bien qu’il soit parfois nécessaire de tricoter
un peu avant de croiser des thermiques issus d’un nouveau cycle d’activité, mon
cheminement fonctionne. Une heure un quart après mon décollage, le plafond
atteint 1250 m QNH, et je suis incapable de me situer précisément. Je sais
juste que je navigue entre le Gâtinais et l’Yonne, ce qui ne m’empêche pas de
m’en mettre plein les mirettes, en contemplant ces paysages aériens qui sont
toujours magnifiques. Trois quarts d’heure plus tard, première enfilade de
cumulus sur plusieurs kilomètres à 1300 m QNH (ah ça c’est bon !), tandis
que j’aperçois au loin vers le sud-ouest le château et le lac de la ville de
Saint Fargeau. Vers 15 heures, nouvelle
enfilade d’une rue de nuages à 1600 m QNH, à la sortie de laquelle j’ai le
grand plaisir de survoler à nouveau le village de Mailly-le-Château et les
jolis méandres de l’Yonne, tout en saluant en pensée la dame qui m’avait bien
aidé en avril dernier en me conduisant jusqu’à Auxerre. Décidément, cet endroit
devient un point de passage privilégié. Une demi-heure plus tard, je survole
Arcy-sur-Cure, en espérant enrouler sur la colline à l’est un thermique
introuvable malgré le nuage au-dessus. Juste de quoi maintenir mon altitude en
me décalant doucement vers le sud-est, vers un nouveau cumulus qui me paraît en
bien meilleure santé que le précédent. Le thermique est au rendez-vous, avec,
comme récompense au plafond, une nouvelle enfilade de cumulus vers 1700 m QNH pendant
une dizaine de minutes. La journée est excellente, c’est formidable. Apercevant
la A6 au nord-est d’Avallon, l’idée me vient de suivre cette voie royale, qui
est justement orientée à peu près dans le sens du vent. Pour une fois, je ne
serai pas perdu au-dessus de la campagne. Après une transition d’une dizaine de
minutes, les pompes s’enchaînent les unes après les autres, tandis que le
plafond s’élève maintenant entre 1800 m
et 1900 m QNH. C’est l’euphorie. Elle prend fin trois quarts d’heure plus tard
lorsque se présente sur ma route un grand trou bleu à traverser. Le thermique
que j’espérais trouver sous le nuage un peu étalé, au-dessus d’un plateau de
l’autre côté de l’autoroute qui vient du nord-ouest et qui croise la A6 sur ma
droite, n’est tout simplement pas au rendez-vous. Je quitte le plateau avec un
peu d’inquiétude, car le relief étant ici plus élevé, je navigue certainement
en dessous de 500 m sol, et il devient urgent de trouver un champ pour
atterrir. Mais je n’accepte pas l’idée de devoir interrompre mon vol
maintenant. Un grand champ de blé moissonné entouré de prairies avec barbelés à
côté d’une base de loisir se présente alors sous mes yeux. Il a la forme d’un
porte-avion. En désespoir de cause, je me dis que c’est un terrain idéal pour
atterrir. Par curiosité, je poursuis mon vol sous le vent du champ pour aller
voir d’en haut et de plus près cette base de loisir et tous les vacanciers qui
profitent de la belle journée. Bien m’en a pris, car à peine arrivé au-dessus
du lac, un puissant thermique m’enveloppe et me propulse à 1900 m QNH, plus de
1000 m de gain d’altitude en dix minutes ! En fait d’aire d’atterrissage,
le grand champ a été plutôt une aire de décollage, d’où le thermique a dû
partir en étant incliné à cause de la dérive. Cerise sur le gâteau, j’aperçois
un joli château médiéval sous mes yeux au cours de la montée, et je me rends
compte qu’il n’est autre que le château de Chateauneuf que je voyais de la A6
perché sur sa colline en me disant que ce serait sympa d’aller le visiter un
jour, et que je contemple maintenant collé sous le nuage… Que c’est beau !
N’ayant pas mon appareil photo à portée de main, Google Earth me viendra
néanmoins en aide car la vue présentée sous un certain angle par ce site est
exactement celle que je vois. Viennent ensuite les collines boisées et sillonnées
par des petites vallées escarpées précédant les vignes des coteaux de Beaune.
Ce coin là n’est pas posable en delta, ou alors en catastrophe avec risque de
casse, et il vaut mieux filer sur la pointe des plumes en enroulant toutes les
pompes rencontrées sur le trajet pour atteindre la plaine de la Saône. La ville
de Beaune apparaît jolie à survoler, mais avec des thermiques qui ne me
remontent pas très haut dans le secteur, mieux vaut éviter de m’aventurer
au-dessus de l’agglomération, que je contourne par le nord-est. L’aérodrome de
Beaune est un bon point de repère indiquant qu’il faut bientôt incurver la
route vers le sud pour éviter de tamponner dans la partie haute de la CTR de
Dole, en fait la TMA 13 de Bâle. Les thermiques sont décidément plutôt
mollassons. Faut-il mettre ça sur le compte de la barrière aérologique qu’on
rencontre souvent en vol à voile au passage d’un fleuve ? Un beau nuage me
fait un clin d’œil justement au-dessus du cours d’eau, et ça marche, le
thermique est au rendez-vous et me propulse à nouveau à plus de 1900 m QNH.
Le paysage de cette plaine
traversée nonchalamment par les sinuosités de la Saône et de l’un de ses
affluents est magnifique. Cependant, un phénomène curieux se produit dans le
ciel : les cumulus grossissent et se rassemblent, créant par endroits des
zones très nuageuses comme s’il y avait des étalements, et surtout qui masquent
l’ensoleillement de fin de journée et détruisent littéralement la convection. Je
vois bien que le ciel semble plus dégagé vers les coteaux, mais je suis trop
loin pour les atteindre, sans compter le danger de se retrouver éventuellement à basse altitude au-dessus des
vignes. Mon altitude descend à nouveau en dessous de 500 m sol. Par chance, au
sud-est de Chalon-sur-Saône, je réussis à enrouler un dernier thermique,
probablement de restitution issue des petites forêts, qui ne m’emmène qu’à
mi-hauteur par rapport à la base estimée du nuage. Plus loin, un ultime
thermique au-dessus d’une forêt dans l’ombre ne me permet que de maintenir mon
altitude, tandis que le vent me pousse vers le sud. Pas bon signe, ça sent la
fin du vol. Apercevant Tournus au sud-ouest, il me vient à l’esprit que je ne
dois pas être très loin de la ville de Cuisery et de son aérodrome ulm à
l’ouest, qui jalonnent la route vers les Alpes depuis Paris via Bourg-en-Bresse
sans passer par l’autoroute. Alors au lieu de poursuivre mon petit jeu
aléatoire qui risque de m’emmener encore dans je ne sais quelle galère ne
serait-ce que pour atteindre la ville dans la soirée, je préfère pour une fois
jouer la sécurité en allant atterrir sur l’aérodrome tant qu’il en est encore
temps. Changement de cap vers le sud-ouest puis carrément vers l’ouest compte
tenu de la dérive pour éviter de me laisser déporter au sud de Cuisery.
Atterrissage comme prévu sur la plateforme et au soleil. Il est 18h40. Je n’en
reviens pas d’avoir pu voler jusque là.
Après
avoir dégagé la piste, le temps de savourer le bonheur de cette journée et de redescendre
sur Terre, deux hommes viennent à ma rencontre. Accueil très sympathique. L’un
est le pilote responsable de la base, qui se prénomme Frédéric, l’autre est un
constructeur amateur qui se prénomme Jacques. En apprenant d’où je viens, ils
sont quelque peu étonnés. Frédéric me confirme que je peux sans problème ranger
mon aile dans son hangar ulm, le temps de revenir la chercher. C’est très sympa
de sa part. Pendant que je replie mon aile, Jacques sort son bel ulm trois axes,
qu’il a construit en quelque 2000 heures, pour lui faire prendre l’air à
l’occasion d’une petite balade du soir. Je suis admiratif devant la patience,
le savoir-faire et le niveau de technicité qu’il a dû développer pour
construire et entretenir son appareil. Une fois accomplies nos opérations
respectives, Jacques me dépose tout simplement à la gare de Tournus. C’est
quand même très agréable de savoir mon aile bien à l’abri et d’être préservé
des contraintes de la marche et de l’auto-stop. Appel à ma chère et tendre en
attendant le prochain train vers Chalon, Beaune, ou Dijon, voire peut-être vers
Paris. J’ai aussi une requête à lui dévoiler, celle de téléphoner à ses bons
amis Sonia et Xavier qui vivent à Chalon pour savoir s’ils seraient disponibles
pour me recevoir et m’héberger pour la nuit. Ce serait une excellente occasion
pour se rencontrer à nouveau. La réponse, quelques minutes plus tard : ils
viennent de rentrer de vacances la veille, et non seulement ils sont d’accord
pour m’héberger pour la nuit, mais Xavier vient me chercher à Tournus. Alors
là, c’est royal, c’est vraiment très sympa de leur part. Nous passons naturellement
une excellente soirée, où il a été beaucoup question de vol libre mais aussi
des activités qui leur sont propres. Pour repartir le lendemain, je pensais
marcher jusqu’à la gare de Chalon pour attraper le premier TER vers Orléans,
mais en consultant les horaires, il faut passer par Beaune, et Xavier me
propose de m’emmener carrément jusqu’au Creusot, ce qui me permet d’avoir un
train relativement tôt sans devoir se lever trop tôt. C’est trop gentil de
sa part, et je lui en suis très reconnaissant, en espérant pouvoir un jour agir
de la même façon pour eux. Arrivé à Orléans en fin de matinée, et le stop
fonctionnant bien le long de la route vers Sully (et donnant d’ailleurs lieu à
des rencontres souvent insolites), je suis rendu à mon auto en début d’après-midi.
Mon aile étant à l’abri, je propose à Céline de venir lui rendre visite dans sa
villégiature berrichonne à Ségry, avant de repartir le lendemain pour récupérer
mon matériel, ce qu’elle accepte bien volontiers. Mon idée était également de
l’emmener à Chalon pour saluer ses amis de vive voix, mais des contraintes
animalières dans la maison de Ségry l’ont dissuadée de quitter le logis. Je
voyage donc seul sur les petites routes du Berry et de la Bourgogne, sous un
soleil radieux du matin pas encore trop chaud, en prenant le temps de m’arrêter
pour photographier des villages, des châteaux médiévaux, des châteaux de la
Renaissance (dont le château de Cormatin, à 24 km à l’ouest de Tournus), des
belles demeures cachées par les arbres de leur jardin, dont l’une d’elles
propose des chambres d’hôtes luxueuses dans un cadre magnifique… (château de
Nobles). Retour paisible au logis par la N6 après avoir récupéré mon aile et remercié
Frédéric pour son accueil. Après analyse de mon vol, j’ai parcouru 275 km en
6h08, et les balises sont : Saint-Benoît-sur-Loire, Braux (au sud-est de
Semur-en-Auxois), Huilly-sur-Seille (au nord-est de Cuisery, base ulm de
Cuisery. La trace est visible sur :
https://delta.ffvl.fr/cfd/liste/2015/vol/20196104.
C’est mon dernier vol de distance de la saison, et les beaux souvenirs ne sont que
mieux gravés dans ma mémoire. Pour terminer ce récit, il faut quand même
signaler que je n’ai pas été le seul à profiter de cette belle journée de vol
libre en plaine, et que des parapentistes ont également bien tirés leur épingle
du jeu. L’un d’entre eux a notamment parcouru 290 km en 8h25, en décollant au
sud-est de Nemours pour aller se poser entre Macon et Bourg-en-Bresse... Chapeau !
En examinant sa trace, (
http://parapente.ffvl.fr/cfd/liste/2015/vol/20195651),
je me rends compte que nous avons traversé les collines boisées entre
Pouilly-en-Auxois et Beaune à peu près au même moment, qu’il est peut-être le
parapente que j’avais croisé et laissé sur place, et qu’il a pu finalement
bénéficier de deux bonnes ascendances, alors j’étais presque sur le point
d’atterrir, avant d’être rattrapé lui aussi par l’ombre des gros nuages à la
fin de la journée. Bravo !
FL