Dans
la série des déconvenues et des gags en vol libre, la semaine de fin juillet
début août 2019 a été plutôt riche.
Mercredi
31 juillet. Une belle journée avec du vent, des cumulus et des hauts plafonds
se profile sur les sites des prévis. Super ! Certainement une nouvelle occasion
pour tenter un vol de distance sur la campagne. Le vent prévu étant autour
de 18 - 20 km/h de secteur ouest ou OSO, je sollicite William, qui est
disponible, pour décoller au terrain de Saint Benoît, car la piste étant orientée
NE-SO et étant aussi plus large que celle d’Egry, on pourra décoller quasiment
face au vent.
Sur
place, je retrouve Jean-Pierre, venu effectuer son vol du mois avant la
fin du mois. Sauf que vers midi, le ciel est bien bouché, à se demander si on
ne s’est pas trompé de journée. Finalement, on décide de déplier nos ailes, en
espérant que le ciel se dégage dans l’après-midi. Le vent devant également se
renforcer, il vaut mieux ne pas décoller trop tard, pour éviter des mauvaises
surprises.
Vers
13h30, le ciel se dégage enfin, tandis que les cumulus se mettent en place. Le
vent souffle gentiment, parfois quelques rafales dues aux thermiques, mais rien
d’alarmant. Je décolle le premier vers 14 heures (sur le chariot, pour me
préserver d’une éventuelle rupture intempestive du fusible de la ligne, même si
le vent est suffisant pour décoller à pied). Nous sommes à peine en l’air,
vers 80 m sol, qu’on se prend une bourrasque à rompre le fusible... Aussitôt,
je tente d’enrouler le thermique, qui est tout de même étroit, mon vario
oscillant entre + 3 m/s et - 3 m/s. Globalement, mon aile descend, et à 70 m
sol, je décide qu’il est préférable d’aller atterrir, tant qu’il est encore
temps de le faire dans une relative sécurité.
William
continue son chemin pour prendre plus de hauteur et faire son tour de piste
normalement. Mais au‑dessus de la Loire, il a apparemment croisé un violent
cisaillement qui a basculé son ulm quasiment sur la tranche. William n’a pas
apprécié. On le voit faire sa finale à toute vitesse (110 km/h, pour garder le
contrôle de son appareil même dans les fortes turbulences), il largue la ligne
sur le terrain et rentre directement son ulm au hangar. C’est terminé pour la
journée ! On attend encre une demi-heure, mais le vent se renforçant légèrement,
c’est peine perdue.
Pendant
ce temps, les cumulus haut perchés s’alignent dans le ciel... Des parapentistes
ont décollés ce jour là d’un site à mi-chemin entre Sens et Auxerre. L’un
d’entre eux, un excellent pilote, a parcouru 333 km avant d’atterrir au nord de
Strasbourg !! Ah oui, la journée a été excellente, la performance de ce pilote
ayant permis d’en révéler tout le potentiel.
L’occasion
de se rattraper se présente deux jours plus tard, le vendredi 2 août, en
Normandie. Les prévis indiquent que les conditions seront les meilleures dans
une région couvrant le Calvados jusqu’au sud de la Loire. Cependant le
vent sera faible, du secteur nord à nord-ouest. Le jeudi 1er, j’appelle Patrice pour lui demander s’il serait disponible pour me remorquer le lendemain
en milieu de journée à la base ulm de Clécy. Il accepte, c’est super ! Au cours
de mon trajet le vendredi matin, il me propose de se retrouver au Mont du Père,
juste à côté de Saint Omer, car le vent souffle quasiment dans l’axe de la
piste, et je décollerai alors à pied.
Objection
de ma part, car le vent étant faible, je préfère décoller sur le chariot à
Clécy, même s’il est un peu de travers. Je lui rappelle que cela me préservera
des éventuelles ruptures de fusible (ou de la ligne) au décollage si je le
fais à pied. Car mon aile est lourde (48 kg au décollage), et qu’avant de
voler, il faut déjà accélérer l’ensemble aile + pilote. Par ailleurs, avec un
genou fragile, je ne peux pas beaucoup courir avec l’aile sur les épaules, et
je dois être en l’air impérativement au bout de trois ou quatre pas. La tension
sur le fusible est alors très forte à ce moment, même s’il est bref, et peut
provoquer sa rupture, ce qu’il vaut mieux éviter.
Objection
bien reçue par Patrice, il est d’accord. On se retrouve vers midi au terrain
ulm de Clécy. En fait, ce terrain est un ancien terrain d’aviation qui a
été racheté par une entreprise de golf, qui en a fait un parcours de golf, à
l’exception du sommet de la colline qui a été laissé en friche, et qui est
prêté ou loué à un agriculteur et à un pilote d’ulm, Patrice. L’aire de
décollage est donc une grande bande d’herbe orientée est-ouest, 600 à 700 m de
long, 100 m de large, entourée d’arbres au sommet d’une colline, qui est donc
soumise à des rouleaux de turbulence lorsque que le vent souffle, notamment
lorsqu’il est de travers. Mais aujourd’hui, le vent est faible, donc on n’aura
pas ce problème. Au milieu de cette étendue, un chemin parfaitement damé
constitue la piste en elle-même. Françoise, la femme de Patrice, nous rejoint
pour dire bonjour et voir à quoi ressemble un Atos VR.
Le terrain ulm de Clécy avant le démarrage des opérations. Outre les objets volants et roulants déjà connus, cela donne une idée de la nature du terrain et de la couverture nuageuse du jour.
Une
fois mon aile prête à voler, l’ulm préparé, et le chariot monté, je me rends
compte que mon aile ne rentre pas sur le chariot... En posant la barre de
contrôle sur les encoches des supports en bois les plus éloignées de l’axe de
roues du chariot, le support de la quille, qui est trop près, appuie sur les
câbles inférieurs... J’avance donc un peu mon aile, en posant la barre sur les
encoches plus proches des roues, et ça passe. Poser la barre de contrôle de
l’aile trop près des roues est à éviter, car au roulage, on peut alors passer
plus facilement « par-dessus » le chariot alors que l’aile ne vole
pas encore... Mais la piste est propre, exempte de bosses, et les roues du
chariot ont un grand diamètre, donc le risque est minime. Sauf que ce chariot
n’a été conçu que pour recevoir des ailes dont la barre de contrôle est ronde,
et les encoches sont trop étroites pour recevoir la barre de contrôle de mon
aile... On part à la recherche d’une scie pour élargir les encoches... A l’aide
d’une scie à métaux qu’on a pu heureusement trouver dans le hangar, Patrice
élargit les encoches de son chariot, juste assez pour que la barre de contrôle
de mon aile soit calée un minimum.
Finalement,
on est prêt à décoller vers 14 heures. Le ciel, qui s’est bien chargé vers
midi, laisse apercevoir des bases des nuages suffisamment sombres pour laisser
supposer que l’activité thermique est bonne. Première tentative de décollage
après avoir tout bien vérifié. Au bout de quelques mètres de roulage, la ligne
casse au niveau de l’ulm... Je ne me suis pas privé de dire à Françoise, qui
maintenait, à la demande de son mari, le bout de mon aile pour qu’elle reste
horizontale, puis à Patrice, que heureusement j’étais sur le chariot ! Car
si j’avais décollé à pied, même si nous étions au Mont du Père, avec ce vent
faible, mon aile se
serait effondrée sous son poids augmenté du mien, ce qui aurait très
certainement provoqué le pliage des fusibles des montants, et cela aurait été
terminé pour la journée ! Il s’avère que la cause de la rupture de la ligne est
simplement une mauvaise fixation du bout de la ligne dans le système
d’accrochage sur l’ulm, que je connais bien puisque c’est le même que celui sur
l’ulm d’Egry... ce qui ne manque pas de me laisser un brin d’étonnement.
Seconde
tentative de décollage. Tout est bien accroché, vérifié, on y va ! Quelques
secondes après le décollage, je me rends compte que j’ai du mal à piloter mon
aile et à basculer en position couchée dans mon harnais. Un coup d’oeil vers le
bas me révèle l’invraisemblable. Horreur !!! Le chariot est accroché sous mon
harnais, je vole avec le chariot qui est resté accroché à mon harnais !!!
Gloups !!! Comment faire pour enlever la boucle qui s’est prise dans un écrou
papillon ?? Tant que je suis remorqué, ça chahute, mais je peux peut-être
d’une main arriver à saisir et à soulever la barre métallique pour libérer la
boucle, tout en pilotant mon aile tant bien que mal avec l’autre main. Mais les
écarts de trajectoire, avec la masse accrue et la traînée accrue, ont vite
raison du malheureux fusible, qui casse. Patrice était par ailleurs lui aussi
sur le point de larguer, car voyant les arbres en bout de piste se rapprocher
sans vraiment prendre de l’altitude, il arrivait à un point où il devait
penser à se préserver. Heureusement que le fusible a cassé avant qu’il ne
largue la ligne, car je me serais en plus retrouvé avec une ligne qui pend par
devant la barre de contrôle... le cocktail délétère que j’ai déjà
expérimenté il y a neuf ans.
En
cet instant, je suis à 20 ou 30 m du sol, je peux oublier ma première action
envisagée, car je vais devoir très bientôt atterrir avec un chariot collé aux
fesses... Pendant une ou deux secondes, j’accepte cet état de fait, avec un
grand sentiment d’impuissance. Et puis, dans un dernier geste, comme si c’était
un geste ultime de désespoir, j’envoie un grand coup de pied vers le bas sur la
barre de ce p... de chariot. En une fraction de seconde, cela a pour effet
d’arracher la patte sur mon harnais qui retenait la ficelle, dont l’extrémité,
qui est munie d’une petite boule de saisie, a eu le bon goût de ne pas se
coincer dans l’écrou papillon du chariot. Le chariot tombe et se fracasse
au sol. Maintenant je peux atterrir dans des conditions plus orthodoxes et
aussi plus saines. Mais dans l’urgence de devoir reprendre le pilotage de
l’aile près du sol, je n’ai pas pensé ou pas eu le temps de régler correctement
les volets, ce qui entraîne une vitesse d’approche trop élevée, d’autant plus
que le vent est faible. J’ai terminé mon atterro sur le ventre, au milieu de
ronces qui poussaient dans l’herbe... Mon aile est intacte, et à part quelques
traces laissées par l’accueil des ronces, je n’ai aucune blessure. Ouf !!! L’accident
n’est vraiment pas passé loin, et je remercie vivement la Providence de m’en
être sorti indemne.
Mais
alors, que s’est-il passé ??!
Sur
tous les harnais de delta, il y a, d’un côté, une ficelle qui sert à remonter la
fermeture éclair du harnais en partant des pieds, cette ficelle étant munie d’un
élastique qui la tire dans le harnais pour éviter de la laisser pendre en vol, et
de l’autre côté, une autre ficelle qui permet d’ouvrir le harnais pour sortir
les jambes avant d’atterrir. Quand le harnais est fermé, la seconde ficelle est
tirée naturellement dans le harnais puisque le zip de la fermeture est situé au
niveau du ventre. Quand le harnais est ouvert, le zip de fermeture est près des
pieds, et la seconde ficelle sort du harnais, sur une longueur environ égale à
celle des jambes. Pour éviter qu’elle n’entrave quoi que ce soit au sol, des
pattes ou des bandes velcros sont cousues sur le harnais pour la retenir. Les
moyens diffèrent suivant les modèles de harnais mais le principe reste le même.
Sur mon harnais, qui est ancien (je l’ai acheté d’occasion en 1996, et c’est le
seul modèle qui me convient), une patte est simplement cousue au-dessus de la
sortie du guide de la seconde ficelle. Pour éviter qu’elle traîne par terre ou
gène un décollage à pied ou simplement l’action de marcher avec le harnais,
j’ai l’habitude de laisser son extrémité juste au-dessus de la patte, tout en
tirant le reste en dehors du guide. Entre le guide à l’intérieur du harnais, et
la patte cousue au-dessus de la sortie du guide, la seconde ficelle forme donc
une boucle, qui pend à l’extérieur du harnais mais qui ne me gène pas en
marchant. Par ailleurs, depuis 16 ans que je pratique le décollage en remorqué
sur un chariot, cette boucle ne m’a jamais posé aucun problème, car tous les
chariots que j’ai utilisés sont construits avec des tubes parfaitement lisses à
l’avant, sur lesquels les supports en bois peuvent coulisser librement, et qui
ne présentent aucun point d’accrochage. Jusqu’à aujourd’hui.
Le
chariot de Patrice est un chariot qu’il a conçu et fabriqué lui-même, en
privilégiant la possibilité de le démonter et de le remonter rapidement au
cours des nombreux déplacements de vol libre qu’il a réalisés dans le passé. A
cet effet, les deux parties latérales sont courbées à l’avant et viennent
s’emmancher dans un tube central, des vis avec des écrous papillons placées de
chaque côté dans des trous perpendiculaires aux tubes assurant la fixation
correcte des deux jonctions. Les écrous papillons sont placés naturellement en
dessous des tubes, pour éviter de créer un point d’achoppement par le dessus du
chariot. Ce montage ne m’a pas du tout inquiété, bien que je fusse néanmoins
étonné, sans le dire à Patrice, de la grosseur des papillons. Donc on a déjà
chacun une faille dans notre équipement, qui, tant qu’elle restait éloignée de
l’autre, n’a jamais occasionné aucun risque d’accident.
Ensuite,
lors du roulage avant de décoller, le chariot s’est curieusement déporté vers
la droite, m’obligeant à « appuyer » à droite avant de « déjauger »
l’aile. Quand la barre de contrôle a quitté le support en bois du chariot, mon
aile s’est à nouveau déportée vers la droite du chariot, et l’évènement
improbable que la boucle sous mon harnais vienne fouetter la barre avant du
chariot juste à l’endroit où est situé l’écrou papillon en dessous s’est
réalisé...
Après
avoir récupéré mes esprits, repassé le film immédiatement et bien compris ce
qui s’est passé, l’émotion est bien retombée et l’apaisement est revenu
naturellement. Avant de replier mon aile, j’ai pris la peine d’aller voir
Patrice dans le hangar qui tentait avec Françoise de redresser le chariot, pour
lui donner un coup de main et aussi pour me faire une idée son état émotionnel.
Il est clair que cet épisode ne lui a pas plu du tout, lui qui était déjà
réticent à l’idée décoller avec le chariot. Il s’en voulait d’avoir cédé à mon
objection. Dans le passé, il a vu apparemment tellement de « gags »
dans des compétitions lorsque les pilotes décollaient en chariot, que cela l’a
rendu très méfiant quant à l’utilisation de ce moyen, préférant de loin le décollage
à pied. Mais d’un autre côté, si nous étions au Mont du Père avec le bout de la
ligne qui sort de son logement dans la fixation sur l’ulm juste après le
décollage, l’incident ne m’aurait laissé aucune chance.
Je
lui ai dit que pour moi, l’émotion est passée, le problème est derrière, et que
si nous arrivons à redresser le chariot, et si lui veut bien me remorquer à
nouveau, pour ma part, je suis prêt à redécoller. Mais en examinant le chariot
de plus près, je me suis rendu compte qu’il est sacrément endommagé, et qu’il
ne faut surtout pas le réutiliser en l’état. Par ailleurs, Patrice semble avoir
encore besoin d’un peu de temps pour retrouver son calme. Donc c’est cuit pour
aujourd’hui, je n’ai plus qu’à retourner à mon aile pour la replier. Revenu me
voir avec Françoise en attendant de quitter ensemble le terrain (qui est privé
et fermé par une grille), Patrice en a profité pour voir mon harnais, et il a
bien compris que la présence de la boucle de la seconde ficelle n’est pas
anormale, bien que j’eusse pu aussi me débrouiller pour fixer son extrémité
ailleurs, par exemple à l’épaule, pour tendre la ficelle et éviter qu’elle ne
forme une boucle sous le harnais. Il me propose de se retrouver en fin d’après
midi sur le site de Saint Marc d’Ouilly, non loin de la base ulm, car la brise
de mer doit rentrer à l’intérieur des terres, offrant des conditions favorables
pour voler en delta. Comme il ne reste plus que cette solution pour aller voler,
j’accepte volontiers.
Le
site est orienté NNE, le vent moyen souffle du nord avec des rafales au NNO. Sur
place, des parapentes sont en l’air, mais ils ne sont pas très hauts, ce qui
n’est pas très encourageant. Pendant l’après-midi, le ciel s’est largement
éclairci, et la brise de mer semble annihiler la convection, car au nord, on ne
voit plus aucun cumulus au-delà d’une ligne très nette qui progresse vers le
sud. Pour Patrice, c’est tout bon, et le voyant déplier son aile sans perdre de
temps, je lui emboîte le pas allègrement. Après m’avoir expliqué les coins où
ça pompe et où se poser au sommet (je n’ai pas volé sur ce site depuis mai
2004, où j’avais fait un plouf lamentable de l’autre côté de l’Orne), Patrice
s’élance, et comme prévu, ça tient !
Finalement,
j’ai volé 1h42 entre 18h24 et 20h06, m’élevant régulièrement bien au-dessus des
parapentes (max 565 m au-dessus du déco, soit 754 m QNH). C’était génial !
Patrice, qui a atterri et replié son aile bien avant moi, a pris la peine
d’attendre que je sois posé (au sommet) pour venir me saluer et continuer à
discuter sur le vol libre. Avant de le remercier vivement de m’avoir motivé
pour voler sur ce site, j’ai quand même insisté à nouveau sur tous les
avantages du décollage en remorqué sur un chariot, pour autant que celui-ci
soit correct et épuré de toute imperfection. La soirée s’est terminée en beauté
chez des amis de longue date qui vivent près de Caen.
Deux
parapentes ont volé sur la campagne aujourd’hui au départ de Saint Marc
d’Ouilly. La distance maximale a été de 90 km, mais ils n’ont décollé qu’à
15h30. Si décoller tôt en rigide avait été possible, sans aucun incident,
atteindre la Loire aurait été jouable, voire peut-être aller jusqu’à Poitiers
(250 km), mais ce sera pour une autre aventure !
Frédéric