samedi 13 juillet 2019

La Creuse en 5h34

Une superbe météo pour le vol à voile et le vol libre s’est installée en IdF et dans le centre de la France, dévoilant un joli potentiel pour réaliser une distance sur la campagne. Mon seul pilote remorqueur disponible était Michel M, et cela tombait bien, car le vent étant de secteur nord, le mieux était encore de décoller le plus au nord dans le Loiret, au sud des TMA parisiennes, en l’occurrence à Egry. Le hic est que la veille, on est déjà parti à Octeville pour tenter de voler le long des falaises, et que la soirée au restaurant entre Michel et les autres deltistes s’est naturellement prolongée tardivement, occasionnant pour Michel un retour chez lui vers 3 heures du matin… Pour ma part, j’ai décliné l’invitation de me joindre à eux, privilégiant la nécessité d’être en forme pour profiter au mieux de la belle journée du lendemain.

Le ciel était pavé de cumulus dès 11 heures. J’avais demandé à Michel, qui était donc d’accord et enthousiaste pour me remorquer, qu’on décolle à midi. Il m’a dit le matin au téléphone qu’il ne serait pas au terrain avant midi. Il est arrivé vers 13 heures, et on a décollé vers 13h40... J’ai pris mon mal en patience…
   
Le ciel à Egry vers midi.


Des cumulus partout, vent au sol NNE faible, en altitude NNE 15 km/h au début du vol, et 20 km/h vers la fin de la journée. Compte tenu de la direction du vent, le plus naturel était de traverser la Sologne avant de profiter d’un ciel ouvert et des conditions certainement fumantes au-dessus du Berry et plus au sud encore. Pour autant que les zones militaires au-dessus de la Sologne fussent inactives. Un appel sans réponse au contrôle de la base aérienne d’Avord avant de décoller m’a suggéré que la voie était libre. Mais les zones étant activables à tout moment, et sans radio aviation pour communiquer avec le contrôleur aérien, un risque subsistait de me retrouver en infraction (même si personne ne s’en rendrait compte sauf le logiciel de la CFD qui analyse les traces des vols). Le plan B aurait été de contourner la Loire par le sud-est avant de poursuivre vers le Puy de Dôme. Ma petite voix m’a dit de ne pas m’inquiéter et de réaliser mon vol comme prévu initialement. Alors allons y gaiement !

La base des nuage à Egry était vers 1500 m (par rapport au déco), évoluant à 1800 m aux abords de la Loire, 1900 m au-dessus de la Sologne vers Salbris, puis 2000 m en arrivant au-dessus du Berry, 2100 m au sud de la grande forêt au sud d’Issoudun, 2265 m max au sud du département de l’Indre (2373 m QNH)... C’était formidable et exceptionnel !!

De nombreux planeurs circuitaient également dans la région, notamment au-dessus de la Sologne lorsque je les ai vus se suivre à la queue leu leu vers le nord-est en faisant la course (l’aérodrome d’Issoudun est apparu couvert de remorques blanches, certainement en raison d’un championnat), ce qui m’a conforté dans l’idée que les zones militaires autour d’Avord étaient bien inactives, et tant mieux !

Vierzon est à exactement 100 km d’Egry par la voie aérienne, que j’ai atteint au bout de 2h30 de vol, ce qui fait une moyenne honorable de 40 km/h. C’est quand même quelque chose de traverser la Sologne en delta, même par des conditions fumantes, en dépit de quelques étalements masquant l’ensoleillement au sol, car il vaut mieux ne pas devoir y atterrir, notamment dans la région quasiment entièrement boisée de Salbris. Sur mes cinq tentatives déjà réalisées auparavant, deux seulement l’ont été avec succès (dont une en août 2013 suivie d’un atterrissage dans le champ en face de la maison de campagne de la famille de ma compagne de l’époque, au sud-est d’Issoudun, et ils avaient été agréablement surpris de me voir !), et trois se sont soldées par un atterrissage de fortune dans une clairière coincée entre les arbres... sans dommage fort heureusement.

Une fois au-dessus du Berry, j’ai pu parcourir les 100 km suivants en un peu plus de deux heures, c’était l’euphorie ! Mais en arrivant aux portes de la Creuse, région au demeurant très jolie vue d’en haut (bocages, collines, bosquets, petits cours d’eau, fermes dispersées, hameaux), au-delà du lieu où j’ai pu gagner mon altitude maximale pour la journée, en précaution de ce que je voyais vers le sud, plus de cumulus, ils avaient tous disparu, c’était terminé. Ne pouvant atteindre une région plus vers le sud-est qui était encore couverte par quelques nuages, j’ai dû me contenter de ce que je trouvais sur place. Les thermiques purs que je réussissais à enrouler de ci de là au-dessus des bosquets ou des fermes étaient mous. Ma progression était revenue en mode « spirale poussée par le vent », comme au début d’un vol en fin de matinée.

Et puis le dernier thermique s’est envolé tandis que mon altitude diminuait de plus en plus, dans une région où le terrain s’élève de plus en plus, garnie de champs de petite taille et entourés de haies. Un morceau de chance, un immense champ d’herbe coupée qui me tendait les bras s’est présenté, à côté d’un petit château flanqué d’un petit étang avec des vaches autour. L’atterrissage idéal. Ce fut une fin de vol royale !
 
Quelque part dans la Creuse.

Une fois mon aile repliée et placée dans un fourré pour la laisser discrète, je suis parti à la découverte des lieux. L’accès au champ étant grand ouvert sur une route, aucun risque que des vaches ne viennent y paître pendant mon absence. Les entrées du château étaient bien fermées, difficile de m’y introduire pour aller prendre le thé avec les propriétaires. Seule une habitante d’une maison voisine a pu m’accueillir. Nous étions dans le hameau des « Ternes », à l’est de la commune de Pionnat. Un fermier voisin m’a confirmé que le champ d’herbe sur lequel j’ai atterri fait partie du château, qu’il est entretenu par ses soins, et que mon aile ne risque rien. A ma demande, il a accepté de me déposer au centre du village.

La suite de la récupe a été quelque peu éprouvante (la Creuse, c’est bien connu, c’est le désert !), mais de belles rencontres m’ont néanmoins permis d’avancer. Cela a commencé par quelques kilomètres de marche dans la direction supposée de Guéret. Parmi les rares véhicules qui passaient, personne ne s’est arrêté (entre de jeunes conductrices craintives et des voitures déjà pleines, on peut comprendre). J’ai donc eu l’occasion de traverser à pied la petite vallée de la rivière « la Creuse », qui est assez jolie. La nuit était quasiment tombée lorsqu’un ultime véhicule est arrivé. En désespoir de cause, j’ai fait de grands gestes pour que le conducteur daigne s’arrêter et que je puisse lui parler, et ça a marché. Seul, l’homme, qui allait justement à Guéret, a accepté de m’emmener et même de me déposer dans le secteur des hôtels. Je l’ai remercié vivement pour son aide, d’autant plus qu’on a parcouru une bonne douzaine de kilomètres…

Tous les hôtels étaient pleins, sauf le plus cher. J’avais le choix entre une chambre à cent euros ou passer la nuit dehors. A 23 heures, un tantinet fatigué, j’ai préféré ne pas ergoter et j’ai choisi la première option, qui était la bonne sans aucun regret. J’en ai profité pour mettre à contribution la personne de l’accueil, dont l’enthousiasme grandissait en écoutant mes histoires de vol libre, pour connaître, via le service internet de l’hôtel, les horaires des trains du lendemain en direction de Paris ou d’Orléans. C’est là qu’on voit que la Creuse, si prisée pour son calme, ses espaces naturels, et par les gens qui souhaitent se mettre « au vert », est un endroit passablement désert, car même dans la préfecture, qui regroupe environ quinze mille habitants, aucun transport en commun ne circulait le dimanche 14 juillet ! Il fallait se rendre à La Souterraine, à une trentaine de kilomètres à l’ouest, où le premier train vers Paris passait… à 14h30 !

La personne de l’accueil m’a également appris que la ville de Guéret dispose d’un aérodrome, au nord du village de Saint Laurent à l’est de Guéret, à quelques kilomètres à l’ouest de mon lieu d’atterrissage, et sur lequel j’aurais donc pu aller atterrir. Mais avec le soleil déclinant, s’il était facile en l’air de distinguer les agglomérations vers l’est et le sud-est, en revanche, au sud-ouest de ma route, je ne voyais que des grandes collines et c’est tout. Quant à apercevoir l’aérodrome sur la carte interactive SDVFR du smartphone que Jean m’a prêté, d’une part, l’appareil s’est naturellement éteint au bout de 5h20 de vol, et d’autre part, l’enregistrement et la visualisation de ma position sur la carte OACI se sont brutalement interrompus au bout d’une heure de vol, probablement en raison d’une erreur de manipulation en touchant l’écran pour le faire défiler. Alors l’appareil m’a servi simplement pour lire globalement la carte aéronautique en vol, notamment pour éviter les TMA d’Avord et de Bricy, guère plus.

Après une courte nuit en dentelles dans ma chambre confortable et luxueuse, j’étais en piste dès 7 heures sur les voies d’accès de la RN145 pour me rendre à La Souterraine en stop. Deux voitures m’ont rapidement conduit jusqu’à mi-chemin. Et puis plus rien. Entre les voitures qui roulaient à 110 km/h sur la voie rapide et qui ne s’arrêtaient pas, et celles qui empruntaient la voie d’accès sans s’arrêter non plus (plusieurs « dames » endimanchées qui se moquaient bien d’un autostoppeur de passage), il ne me restait plus que la marche pour parcourir les 17 km (indiqués sur un panneau) jusqu’à destination. Il était 8h30. Pour monter dans le train de 14h30, c’était jouable, j’avais de la marge, mais il ne fallait pas traîner.

Après seulement quelques centaines de mètres, un hangar jouxtant quelques maisons était ouvert avec une grosse voiture devant. En faisant le tour, j’ai trouvé le propriétaire du hangar et du véhicule. Après un échange cordial, je lui ai demandé gentiment s’il voulait bien m’avancer jusqu’au rond point suivant. L’homme était un artisan, on était dimanche, il avait envie de se reposer… Il m’a regardé et il a dit ok ! Naturellement, je me suis mis à causer durant le trajet, sur la vie dans le département, à propos de vol libre, et comme l’homme était curieux et intéressé, il m’a carrément conduit jusqu’à la gare de La Souterraine. C’était génial ! Bien entendu, je l’ai remercié vivement.

Le billet jusqu’à Orléans que je voulais acheter n’était en vente que sur internet. Et pour cause, c’était une promo à 15 euros, qu’on ne peut pas acheter au guichet de la gare. En revanche, il était possible d’imprimer le billet si je donnais à l’employée de la SNCF la référence de la transaction. N’ayant pas internet sous la main, je me suis débrouillé pour trouver internet… à distance ! En l’occurrence, un appel à mon paternel, qui était heureusement chez lui ce matin là, m’a permis de régler l’affaire. En comparant le prix de 60 euros pour l’hôtel au Mans le 21 juin dernier, augmenté du même tarif pour le TGV vers Paris le lendemain matin, on voit que le coût total de la formule hôtel + train ne varie finalement pas beaucoup, seule la répartition des dépenses a été modifiée !

A partir du terminus du tram à l’est d’Orléans, en quatre voitures, dont trois étaient conduites par des femmes à qui j’ai pu parler à un stop ou à un feu rouge, je fus rendu via Pithiviers directement à mon véhicule à 19 heures devant le hangar ULM à Egry. Compte tenu des pauses dodo indispensables sur la route (325 km pour redescendre chercher mon aile, récupérée à minuit, et 389 km pour remonter dans l’Essonne), je suis rentré au logis le lundi matin bien après le lever du soleil… Une journée de congé n’a pas été de trop pour laisser reposer le corps et les souvenirs qui se bousculaient !

Mon vol a duré 5h34 et j’ai parcouru 229 km sur la campagne. La trace du vol est disponible à l’adresse : https://delta.ffvl.fr/cfd/liste/vol/20271016.


Merci à Michel de m’avoir remorqué malgré son retour nocturne chez lui. Sans lui, cette belle aventure aérienne n’aurait pas été possible. Ce fut une journée extraordinaire !

Frédéric
       
Porte Saint Jean à La Souterraine.      

Un joli coin tranquille dans la Sologne pour une pause dodo.



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