lundi 6 mai 2019

Pas dégonflé pour un triangle FAI

« Beau temps à planeurs ! », aurait pu écrire Michel Klich, le monsieur météo des planeurs d’Orléans, sur le site très utile qu’il a arrêté d’animer depuis quelques années. Une masse d’air convective et homogène sur une bonne partie du Gâtinais, de la Sologne, de l’Yonne et de la Seine et Marne, avec de surcroît un vent faible de secteur nord-nord-est et des plafonds honorables, voilà ce qu’on pouvait lire en résumé sur les sites de prévision dans la région pour le lundi 6 mai 2019. Une aubaine à saisir pour tenter un vol de distance en triangle. Et tant qu’à faire, autant les prévoir grands, le vol et le triangle ! Martin Morlet, excellent pilote de parapente, (ancien) détenteur du record de distance en vol libre en France, m’avait encouragé en 2018 en me disant qu’un triangle de 200 km en plaine est à ma portée, « tu peux le faire » ! Bon, alors il ne me reste plus qu’à attendre les bonnes conditions météo.

Et aujourd’hui, l’opportunité se présente bien. Les conditions aérologiques annoncées étant meilleures au-dessus du Gâtinais que de la Loire, je choisis de décoller à Egry, avec comme plan de vol un triangle que j’ai parcouru plusieurs fois et que j’élargis pour la circonstance : premier point de virage au sud à Lorris, en bordure de la forêt d’Orléans, puis route vers le nord-ouest jusqu’à Angerville, puis vers l’est jusqu’à Villeneuve-la-Guyard, entre Montereau et Pont-sur-Yonne, et retour à Egry. Cela fait un beau triangle FAI de 207 km. Mais pour réaliser en delta une telle distance sans vent, je dois pouvoir compter sur une durée de convection d’au moins sept heures, voire peut-être huit heures en cas de difficultés. Et cela tombe bien car aujourd’hui, la convection sera exploitable dès 11 heures ! Michel Moussier, toujours disponible et enthousiaste pour me remorquer, est un peu surpris par ma suggestion de se retrouver au terrain « prêt à décoller à 11 heures », car de mémoire de libéristes, on ne l’a encore jamais fait. Mais il accepte bien volontiers.

Comme prévu, les premiers cumulus se mettent en place vers 11 heures, tandis que je termine de préparer mon aile. Le gag : Michel, qui tarde à arriver avec l’ulm, m’annonce qu’une roue de l’ulm est à plat et que je vais devoir patienter un peu le temps de la regonfler ! Eh ben, heureusement que la météo n’était pas bonne la veille, le dimanche 5 mai, pour tenter un grand vol de distance depuis Egry vers le sud. Car il était question que nos amis deltistes du sud-ouest montent depuis Terrasson, dans la Corrèze, et de Montauban pour le plus éloigné, pour tenter à nouveau, au départ d’Egry, la même opération que celle du 1er mai 2016 au départ d’Aigneville, ou celle du 22 juin 2009 au départ de Saint Benoît. Avec la nécessité absolue de décoller le plus tôt possible, sinon ce n’était pas la peine. Alors s’ils étaient arrivés en ayant roulé une partie de la nuit et en trouvant la roue de l’ulm HS, ils auraient été contents ! 

A 11h28, le ciel est déjà bien garni, et l’ulm est bientôt prêt !

Finalement, après avoir prêté main forte à Michel pour achever un regonflage de fortune de la roue, qui devrait tenir le temps d’un décollage et d’un atterrissage, on décolle vers 11h40, ce qui n’est déjà pas si mal. Les 26 premiers kilomètres jusqu’à Lorris se déroulent sur « un tapis volant ». Le plafond s’élève rapidement de 1250 m QNH à 1500 m QNH, l’aérologie est prometteuse, et je décide de pousser un peu plus au sud de la ville, histoire d’augmenter un peu la taille du triangle. A la fin de l’ascenseur qui me rehausse jusqu’à la base du nuage, tout semble aller pour le mieux, et je mets le cap au nord-ouest vers Pithiviers. Il se produit alors un phénomène étrange : dans cette direction, je vois les nuages se former et se désagréger dans la foulée, plus rien ne tient. Je ne comprends pas ce qui se passe, mais je comprends juste que si je ne veux pas terminer lamentablement au tas, il ne faut surtout pas aller vers le nord-ouest. Quant à inverser le sens du triangle en allant donc vers le nord-est, l’idée ne me séduit guère car l’arrivée d’un voile de cirrus par l’ouest est également prévue en fin de journée, notamment dans la région d’Angerville, et l’orientation du vent à ce moment aurait impliqué une composante de face sur la dernière branche du retour, ce qui n’est pas terrible, même si le vent est faible. Exit le plan de vol. Pour rester en l’air et profiter de la journée, il faut aller là où il y a des cumulus, et ceux vers le sud me tendent les bras. En plus, en poursuivant dans cette direction, le segment depuis Egry pourra constituer la première branche d’un triangle qui reste à définir. Dans ses facéties, la providence taquine me montre une autre voie que celle que je m’étais tracée, alors suivons la gaiement !

Mais il faut encore traverser la forêt jusqu’à la plaine champêtre au nord de Sully. Par chance, elle n’est pas trop large dans cette direction. Deux thermiques successifs me remontent chacun à plus de 1100 m sol. Ce n’est pas très haut, mais suffisant pour traverser la forêt. Premier point bas de la journée à 530 m sol près de la lisière au sud, où un premier thermique me sauve d’une situation délicate. Un second me permet de remonter un peu plus haut, mais ce n’est pas encore gagné. Plus près de la Loire, un troisième plus puissant me permet d’atteindre enfin l’altitude confortable de 1650 m QNH dans les barbules… C’est royal ! La vue sur la Loire et sur le château de Sully est toujours magnifique, c’est super de se trouver là-haut à contempler ce paysage. Ma route vers le sud se poursuit tranquillement de nuage en nuage, en prenant soin d’éviter la zone interdite de la centrale nucléaire de Gien. Dans cette partie de la Sologne, les champs sont nombreux et un éventuel atterrissage en campagne ne pose aucune difficulté, pour autant que le champ fût choisi assez tôt. Il y a cependant un détail qui fait partie du voyage et qui s’invite de lui-même malgré les protections, c’est le froid. Avec une température au sol voisine de 10°C au décollage, la température à 1500 m descend vers -5°C d’après les prévis, et donc il vaut mieux bien se couvrir en l’air. Si mes bras ont été suffisamment bien protégés durant le vol, tel n’a pas été complètement le cas pour les mains, malgré les sous-gants en soie que j’avais enfilés dans mes gants de montagne. La température lue sur mon GPS, qui doit être affectée d’une certaine inertie, varie entre 1°C et -1°C à l’altitude des nuages. Mais avec le vent relatif, la température ressentie doit être bien plus basse. Toujours est il que dès que la température lue descend en dessous de 0°C, les dernières phalanges de mes deux majeurs deviennent tout simplement insensibles. Souhaitant m’épargner d’éventuelles séquelles dont je me passerai bien, je ne vois rien d’autre à faire que de me secouer régulièrement les mains comme si elles venaient d’être brûlées, ou encore de me mordre carrément le bout des doigts pour vérifier qu’ils répondent encore un tant soit peu.

Bientôt, la limite des zones militaires réglementées et gérées par la base aérienne d’Avord approche. En semaine, ces zones doivent être sûrement actives, donc il vaut mieux éviter d’y pénétrer (ne serait-ce que pour pouvoir valider le vol sur la CFD !). Bien m’en a pris, car plus tard, j’apercevrai quand même deux avions de transport qui volent à ma hauteur en dehors des zones réglementées, et certains souvenirs chargés d’émotion me rappellent qu’il est impératif de rester à bonne distance de ces grosses bestioles. Une fois achevé le plein d’altitude au sud-ouest d’Argent-sur-Sauldre, le moment est venu de changer de cap. Et il y en a un qui est tout tracé sous mes yeux, c’est la route en ligne droite qui mène au nord-est jusqu’à Gien. Mon GPS indique que je vole depuis 2h30 et que je suis à environ 65 km du terrain. L’idée me vient alors qu’en suivant un cap au nord-est, ma distance au terrain va diminuer, passer par un minimum, puis augmenter. Si je parviens à suivre ce cap jusqu’à ce que le GPS indique à nouveau la distance au terrain de 65 km, je serai alors au second point de virage d’un triangle rectangle inscrit dans un carré de 65 km de côté, dont le périmètre est égal à 130 km plus environ 90 km (65 * racine(2)), soit environ 220 km. Ouah ! A la louche, le second point de virage est alors aux alentours de la ville de Sens, et le retour vers Egry sera sur un axe quasiment est-ouest. Sauf que ma vitesse de croisière n’est franchement pas terrible (un peu plus de 25 km/h), et que si je veux parcourir les 155 km restants en cinq ou six heures avant la fin de la convection, j’ai intérêt à accélérer un tantinet. Néanmoins, l’idée est séduisante et mérite d’être tentée. Je verrai bien en chemin comment les conditions évoluent et si je dois aviser.

Vingt minutes après mon point de virage, nouvelle déconvenue : il y a un beau cumulus au-dessus de mon aile, mais je ne parviens pas à trouver le thermique qui l’alimente. L’aérologie est déconcertante. Pendant que je tricote tant bien que mal, il m’arrive de croiser en un éclair du + 3 m/s, et puis c’est fini. Nerveusement, c’est épuisant. Et pour contribuer à me mettre la pression, mon altitude s’amenuise sans répit. Mais je dois me battre, il faut tenir en l’air, sous peine d’une sanction immédiate : au tas et loin du terrain ! Enfin, après un second point bas, je parviens à trouver et enrouler le thermique qui me rehausse à près de 1700 m QNH. Aujourd’hui, il ne faut manifestement pas descendre en dessous de 900 m sol, sinon la remontée peut s’avérer très laborieuse. Même si elle n’a pas contribué à relever ma vitesse de croisière, cette incursion dans les basses couches a eu l’avantage inestimable de me réchauffer les mains.

En quatre thermiques et une demi-heure plus tard, je franchis la Loire à Gien. Les cumulus sont nombreux et bien formés. Malgré cela, une nouvelle difficulté m’attend pour trouver le thermique régulier qui me remontera au plafond au-dessus de cette grande agglomération coiffée par les nuages. Au plus fort de l’après-midi, le plafond  s’élève à plus de 1800 m QNH, voire à 1900 m QNH autour de 16 heures. Ma route vers le nord-est se poursuit au-dessus de la grande forêt, traversée par l’autoroute et la N7, avant de retrouver l’alternance entre les champs, les villages, et les bosquets. C’est presque l’euphorie, malgré un nouveau point bas. Cet épisode s’abrège bien plus tôt que je ne l’espérais. Vers 17 heures, les nuages se soudent de plus en plus. Repensant à Michel qui me demandait, juste avant le décollage, s’il y aurait des risques d’étalements, et à qui je répondais par la négative, il faut bien reconnaître qu’il avait raison ! Alors que j’approche de la petite route entre Montargis et Joigny, le ciel devient complètement bouché.

Tant pis pour le challenge, il faut vraiment prendre la route du retour maintenant, en essayant au mieux de me rapprocher le plus possible de la forêt de Montargis. En l’absence d’ensoleillement, la restitution des bosquets est déjà à l’œuvre. Dans un secteur où ceux-ci sont plus denses, deux gentils thermiques salvateurs me remontent de mon point bas vers une hauteur qui me permet d’envisager l’avenir immédiat avec plus de sérénité. Bien qu’une clairière, où il est possible d’atterrir, existe au milieu de la forêt de Montargis, il ne me semble toutefois pas raisonnable, compte tenu de ma hauteur et en l’absence de vent arrière suffisant, de m’aventurer au-dessus de cette grande forêt pour tenter de trouver un hypothétique thermique tout en prenant le risque de me retrouver bien bas de l’autre côté, sachant que l’agglomération s’étend encore plus à l’ouest de la rivière (le Loing). Le vent actuel, évalué d’après la dérive des derniers thermiques, étant du nord-est, longer la forêt par le sud me semble la bonne option pour augmenter les chances d’enrouler une bulle de restitution. Et ça marche ! Me voici maintenant à 1450 m QNH aux abords de la ville à l’est. Si je peux traverser l’agglomération sans problème, je suis quand même à 31 km du terrain, alors je ne me fais pas trop d’illusion sur la possibilité de l’atteindre. Toutefois, au-dessus d’une concentration commerciale ou industrielle dans la partie ouest de la ville, j’ai la chance d’enrouler un ultime thermique qui me remonte doucement à près de 1000 m QNH. Après, il faut optimiser le vol plané, en suivant la route départementale qui semble aller dans la bonne direction. Curieusement, si les thermiques que je croise ne sont pas suffisamment puissants pour être enroulés, ils contribuent néanmoins à diminuer le taux de chute de mon aile. La finesse air instantanée lue sur mon GPS s’élève ainsi régulièrement à plus de 20, voire jusqu’à 30 pendant quelques secondes. C’est inattendu et fort bienvenu. Le dernier village survolé ne donnant rien d’exploitable, je me prépare à atterrir dans le secteur de la gare d’Auxy que je reconnais un peu plus loin. Il est 19h05, et je ne suis qu’à quelques kilomètres du terrain, c’est super !

Malgré le radoucissement de la température au niveau du sol, je n’ai pas quitté mes vêtements d’altitude pendant le repliage de mon aile, hormis les gants, et le bandeau qui protège et réchauffe les oreilles a même été salutaire. Encore un morceau de chance, une voiture qui passait par là m’emmène directement au hangar à Egry où j’ai laissé mon auto. Le conducteur m’apprend qu’il y a un petit restaurant sympathique sur la place du village voisin de Corbeilles, celui que j’ai survolé avant l’atterrissage. Une bonne pizza au chaud avec une bonne bière, c’est tout ce qu’il me faut pour terminer paisiblement cette belle journée de vol libre.

Mon vol a duré 7h26 et bien que je n’aie pas pu rentrer au terrain, j’ai atterri suffisamment proche de celui-ci pour que le triangle compté par la CFD soit un triangle FAI de 178 km : Egry, Eau-de-Limon (balise de départ), Argent-sur Sauldre, Fontenouilles (entre Château-Renard et Charny), Gondreville (au sud d’Auxy). La trace du vol est à l’adresse : https://delta.ffvl.fr/cfd/liste/vol/20264002

Frédéric




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