lundi 22 octobre 2018

Quand les conneries s’invitent au bal

Lundi 22 octobre 2018, je me suis rendu à Commes, à côté de Port en Bessin, pour découvrir ce site de vol libre dont j’ai longtemps entendu parler sans jamais y avoir décollé. La perspective de visiter d’en haut les plages du débarquement entre Arromanches et la pointe du Hoc était également très enthousiasmante. N’étant pas venu à la journée des vols collectifs du 7 octobre, celle qui se présentait ce lundi résonnait comme une sorte de journée de rattrapage, peut-être l’ultime occasion avant la saison de l’hibernation.

Les prévisions étaient joufflues : de la pluie jusque vers 11 h, avec un vent du NNE pour 35 km/h et rafales à 55 km/h, ensuite des éclaircies, vent NNE 30 km/h, 55 km/h max jusqu’à 14 h, puis NNE 25 km/h, 45 km/h max entre 14h et 20h. Des conditions costauds, mais quand même qui me semblaient jouables, surtout en rigide, et avec l’assurance que le régime éolien serait suffisant pour traverser sans problème les zones dépourvues de falaise comme à Omaha beach.

Le hic était que j’étais le seul pilote, les autres deltistes potentiellement intéressés n’étaient pas disponibles. Pour l’assistance au décollage et la sécurité, ce n’était pas terrible. Qu’à cela ne tienne, j’ai pu joindre in extremis, juste avant mon départ du logis, un bon copain habitant au sud de Caen qui avait accepté de venir m’aider. J’avais également ratissé par téléphone les mairies et quelques associations locales, dont l’école locale de parapente, pour solliciter de l’aide supplémentaire, mais sans succès. En dernier recours, j’espérais que la fréquentation du site aux heures du déjeuner amènerait une personne serviable.

Pour un vol de bord de mer, inutile de sortir la Formule 1, l’Exxtacy est déjà très bien et serait amplement suffisant. Arrivé sur place vers 12h15, après 300 km en quatre heures par l’autoroute avec les bouchons en IdF. Il pleuvait toujours, du crachin bien normand, à me demander si les prévis ne s’étaient pas à nouveau plantées (j’avais entouré mon aile d’un plastic à l’intérieur de la housse pour la préserver de l’humidité). Finalement, les prévis étaient juste un peu optimistes, car on voyait le ciel se dégager au nord au-dessus de la mer, et les éclaircies se rapprochaient de la côte. C’était tout bon.

Mon ami est arrivé et quand la pluie a cessé, nous avons monté mon aile à l’abri des buissons à côté du parking. Régulièrement, j’allais mesurer la vitesse du vent au déco : 40 à 45 km/h en moyenne, parfois 35 km/h mais rare. Il me fallait vraiment une seconde personne pour m’aider à tenir mon aile pendant le transport vers le déco et jusqu’au moment du décollage. Après quelques sollicitations infructueuses, un jeune homme fort sympathique a accepté sans problème de me rendre service. Le trapèze d’un rigide étant mobile par rapport à l’aile, pour maintenir celle-ci dans le vent, il fallait une personne de chaque côté qui la tienne à chaque extrémité, le pilote se chargeant de la porter tout en contrôlant l’incidence.

Une fois en place au milieu du déco, je sentais qu’il fallait vraiment abaisser le nez de l’aile pour pouvoir la contrôler avant de décoller. Mais je n’y arrivais pas, ou difficilement, ce n’était pas normal. Je n’avais pas réalisé que mes deux assistants, qui tenaient l’aile là où je leur avais demandé, c’est-à-dire à l’extrémité des cannes de tension de la voile, là où la prise est la meilleure, empêchaient, compte tenu de la flèche de l’aile, ces mêmes extrémités de se lever tandis que je m’efforçais de pousser sur le trapèze avec un pied devant la barre de contrôle. Sur le moment, je regardais l’horizon, et j’attribuais la cause de cette difficulté simplement à la force du vent. Première erreur, l’alarme intérieure ne s’est pas déclenchée.

J’avais tellement envie de décoller, que j’ai voulu essayer, et je leur ai dit de lâcher. Immédiatement, l’aile portait très bien, mais comme elle avait déjà une certaine incidence positive, elle m’a un peu embarqué vers l’arrière. J’ai pu la reprendre en saisissant immédiatement la barre de contrôle et en la tirant jusqu’à ce que les roues fussent à nouveau au sol. Et les copains ont saisi à nouveau les extrémités de l’aile. Naturellement, dans le feu de l’action, je n’ai pas fait le lien entre la facilité retrouvée de faire piquer le nez de l’aile et l’absence de saisie aux extrémités. Si un autre deltiste avait été là, il aurait été, en priorité, saisir les câbles sous le nez pour maintenir une incidence neutre voire négative et soulager le pilote. Seconde erreur, cette pratique tellement courante ne m’a absolument pas effleuré l’esprit.

Nous étions en fait tous les trois trop occupés à tenir l’aile comme on pouvait pour penser à autre chose. Troisième erreur, cette première tentative de décollage ne m’a pas servi d’avertissement sur le danger de la situation.

Trop obnubilé à contrôler l’aile tout en voulant décoller, je n’ai pas du tout cherché à comprendre ce qui se passait. J’aurais dû renoncer, ou du moins temporiser sérieusement, mais non, cette idée est restée hors de mon champ de conscience. Quatrième erreur, j’ai fait une seconde tentative, sur le même modèle que la première. Rebelote.

A peine les extrémités de l’aile lâchées, je n’ai même pas eu le temps de stabiliser quoique ce soit avant de m’élancer que l’aile m’a soulevé, j’ai fait un bond en arrière, et je me suis retrouvé sur les fesses avec l’aile qui s’effondrait sur ma tête... C’était le signe que la séance de vol libre était terminée pour la journée. Pourtant les montants étaient toujours entiers, bizarre. En me retournant, j’ai vu la quille cassée en deux, bien comme il faut, au niveau du trou de passage des cordelettes qui commande les volets. Ce trou est le point faible de la quille. Et m... !!! Pas de blessure corporelle, mais bien penaud. Mon vol a duré une seconde, et pas dans le bon sens !

On a ramené l’aile cahin-caha derrière les buissons et j’ai remercié vivement le jeune homme pour son aide, en étant bien désolé de lui avoir offert ce triste spectacle comme entrée en matière au vol libre. Examen de l’aile et évaluation des dégâts : en plus de la quille cassée, le ridoir, qui assure la jonction des deux bords d’attaque au niveau du nez, est légèrement tordu. Je me suis aperçu avec effroi que le push-pin servant à verrouiller le ridoir en position fermée n’avait pas été placé… Distrait en causant avec mon ami au cours du montage de l’aile, j’ai remis cette opération à la fin de ma phrase, qui a été chassée par autre chose… Certes, le tube de nez de l’aile passe dans un anneau qui est fixé au levier du ridoir par deux vis, donc même si une turbulence ou un choc mécanique avaient forcé l’ouverture du ridoir, le levier aurait été bloqué par le tube, mais il n’est pas certain que l’ensemble des pièces métalliques en seconde sécurité eussent été à la hauteur des efforts qu’elles auraient dû supporter si le ridoir s’était réellement ouvert en vol. La quille s’étant plantée dans le sol avant de casser en flambage sous mon poids et celui de l’aile, le choc dirigé vers l’avant a probablement forcé les deux bords d’attaque à se replier autour des axes de leur longeron, générant un effort manifestement important au niveau du ridoir qui n’était pas verrouillé, et qui s’est légèrement déformé avant d’être retenu par l’anneau fixé au tube de nez... Je n’y suis pas allé de main morte, et je n’ai pas osé imaginer ce qui serait arrivé si j’avais décollé et si mon aile s’était partiellement repliée en vol… Il semblerait qu’un ange ait veillé sur moi aujourd’hui, en m’interdisant de décoller d’une façon radicale.

Avec mon ami, on a tranquillement profité du reste de l’après-midi en nous baladant au vent et au soleil le long des falaises, en regardant les cumulus (estimés à environ 800 m sol) et les goélands qui s’égayaient en vol de pente... Son invitation à venir boire un coup et dîner chez lui avec sa famille a rendu la soirée chaleureuse et réconfortante. C’était quand même un coup dur, moins pour le matériel endommagé, à réparer ou à remplacer, que pour mon incapacité ce jour là à avoir su apprécier correctement la situation. Comment peut-on être amené à oublier des détails ou des procédures, qui sont loin d’être inconnues, et dont l’application normale permet d’assurer un minimum de sécurité, même dans des conditions un peu extrêmes ?

Ironie du sort, les deltistes indisponibles ce lundi ont été disponibles le lendemain, et ils ont finalement décidé d’aller voler à Octeville, à côté du Havre. Personne n’a décollé, à cause du vent d’ouest trop fort à leurs yeux : 35 à 45 km/h toute la journée, donc à peu près comme la veille à Commes, et aussi plutôt mal orienté pour voler le long des falaises. Il semble qu’en réunion, les pilotes, dont les locaux qui ont une certaine expérience des vols en bord de mer, ont plus de sagesse et plus de discernement qu’un pilote isolé et un tantinet tête brûlée. Le seuil de 35 km/h pour la vitesse moyenne du vent mesurée au déco a été évoqué comme la limite au-delà de laquelle mieux vaut s’abstenir de décoller. C’est bon à savoir quand de nouvelles opportunités se présenteront.

De retour au logis, je me suis attelé immédiatement à la réparation de mon aile. Psychologiquement, je veux tout faire pour ne pas rester sur un échec, et pour ne pas laisser traîner l’affaire outre mesure, tant pour la compréhension de ce qui s’est passé que pour remettre mon matériel en état de vol. Le problème est que le fabriquant de l’Exxtacy n’existe plus depuis longtemps, et pour trouver des pièces détachées, cela se passe de bouche à oreille entre connaissances ou au gré des petites annonces qui fleurissent et disparaissent sur les sites spécialisés. Il est également possible de réaliser les réparations « home made ». La quille de l’Exxtacy étant d’une conception relativement simple, j’ai déjà commencé à la démonter complètement (en enlevant les rivets et en prenant soin de ne pas endommager les parties qui seront réutilisées), dans le but de remplacer les tubes défectueux (c’est-à-dire le tube principal et celui manchonné à l’intérieur), et de me reconstruire une nouvelle quille. C’est faisable sans trop de difficultés, il faut juste être très attentif et très méticuleux, notamment pour bien aligner et positionner correctement la soixantaine de trous à percer. Dans mon garage, j’ai déjà des tubes en alu au bon diamètre et en bon état (récupération de bords d’attaque de vieilles ailes inutilisables). Seuls les rivets et des forets neufs seront à acheter, ainsi que deux vis en inox. Mais si l’opportunité d’acheter une quille déjà toute prête et correctement fabriquée se présente pour un prix raisonnable, je ne me priverai naturellement pas de me porter acquéreur. En revanche, il vaut mieux ne pas chercher à redresser la partie tordue du ridoir, car il s’agit d’une pièce de sécurité importante, et si la déformation du métal est entrée dans la zone plastique, il y a de fortes chances que la pièce en question ne puisse plus supporter les contraintes maximales pour lesquelles elle a été conçue. Donc il faut la remplacer. Un morceau de chance, un ancien copain de vol libre disposerait des pièces que je cherche et serait prêt à me les céder. Les tractations sont en cours. Finalement, cet épisode aura été un avertissement « sans frais ». Je reviendrai voler à Commes, avec un peu plus de plomb dans la cervelle et un peu plus de prudence !

Frédéric

les photos du fameux ridoir et de la quille


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